C’est avec beaucoup d’anticipation et d’envie que nous avions réservé une nouvelle croisière, à peine quelques semaines après être revenus de la précédente…
Les raisons étaient multiples : la précédente avait été merveilleuse (en gros les îles Nord des Antilles et Caraïbes), l’anecdotique possibilité de repartir sur le même bateau (le Costa Magica), le même jour (premier vendredi de Mars), du même endroit (Pointe-à-Pitre), pour une destination et des escales différentes (les îles du sud, du côté de la Barbade), la possibilité d’atteindre un niveau de fidélité Costa intéressant…
Réservation donc faite pour une semaine du 6 au 13 Mars.
… et puis l’été dernier, une idée un peu folle : proposer aux filles de venir avec nous, avec leurs compagnons.
Peut-être la dernière possibilité de partir tous ensemble en vacances.
Seule la grande a pu se libérer.
Les dernières semaines, j’attendais avec impatience le départ, j’avais préparé plein de trucs (une super activité sur l’île de Sainte-Lucie, réservé une belle voiture à la Martinique, rédigé un livret d’une quarantaine de pages bourré de conneries pour les jeunes, acheté un beau nouveau maillot de bains, etc…)
Et la crise du Coronavirus commençait à poindre.
Costa se voulait rassurant : tous les gens qui avaient voyagé dans les zones à risque (Chine, Corée, Iran, …) ou qui vivaient dans certaines zones d’Italie, tous ceux qui auraient de la température au moment d’embarquer, et qui ne passeraient pas un contrôle médical, se verraient refuser l’accès au bateau. Un questionnaire médical à remplir avant d’embarquer.
Le 6 Mars, donc, un peu inquiet de faire 9 heures d’avion pour risquer de repartir dans l’autre sens, nous voilà donc à Orly, puis dans l’avion direction Pointe à Pitre.
Vol un peu long (j’ai regardé… Y a-t-il un pilote dans l’avion, en VO non sous-titrée), choc thermique comme prévu à l’arrivée… La navette nous récupère et nous amène au bateau, c’est très étrange de se retrouver pile au même endroit un an plus tard. Une impression de déjà-vu, déjà vu !
Embarquement assez rapide (prise de température furtive, remise du questionnaire médical à peine regardé, bagages à main scannés mais à peine vérifiés (j’ai rentré mon drone sans problème), la préposée au scan ne regardant qu’à peine son écran en papotant, …)
Acclimatation sur le bateau, premier dîner, exercice d’évacuation chiant, dodo, tout va bien…
Samedi 7 Mars – En mer…
Lever tôt (à cause du décalage horaire), lever de soleil face à notre balcon.
Premiers au petit-déj, premiers au bord de la piscine (comme l’année dernière)…
Le journal de bord annonçait une journée calme, avec cocktail pour les membres du club Costa à 18h00 et soirée élégante.
Madame et la grande se font embarquer dans un jeu près de la piscine…
… et là, premier doute… quand les animateurs demandent aux participants d’où ils viennent et qu’une dame répond qu’elle est italienne, de Milan… Je croyais qu’ils n’étaient pas autorisés à embarquer ?!?
La journée se déroule tranquillement. A un moment, dans l’après-midi alors qu’on se repose dans notre cabine, je note que le soleil est toujours de notre côté… alors qu’en théorie, il devait avoir tourné et se trouver à l’opposé.
Il y a une application très pratique sur les bateaux Costa, qui permet d’avoir plein d’infos sur le bateau, les excursions, communiquer… et savoir la position du bateau… et là, je me rends compte qu’il tourne en rond.
Ça ne rate pas, vers 17h00, annonce en plusieurs langues : les autorités de Trinidad & Tobago (escale du lendemain) et de Grenade (celle du surlendemain) refusent notre arrivée, suite aux recommandations de l’OMS qui ont remonté le degré de sécurité (pas parce qu’il y aurait des cas à bord, hein, ni plus de 400 italiens) et qu’on va aller directement à la Barbade qui était notre troisième escale.
Je me dis qu’on va avoir droit à un minimum d’explications au cocktail Costa à 18h00 et on se prépare tranquillement.
… eh ben rien, pas un mot… une cérémonie d’auto-congratulations, avec des sourires commerciaux d’une partie de l’équipe dirigeante de l’équipage, et le capitaine qui fait le guignol, alors qu’il a annoncé moins de deux heures avant un changement majeur d’itinéraire.
J’en suis ressorti un peu énervé.
Soirée tranquille, on fait des superbes photos avec un professionnel (on les a vu mais on ne pourra jamais les récupérer).
Ah si, on a pu quand même obtenir la seule photo gratuite de la croisière.
En rentrant dans la cabine, un mot nous attend annonçant le changement d’itinéraire : Barbade le lendemain, puis une journée de navigation pour aller à Saint-Martin (qui n’était pas prévu, et qu’on avait déjà vu l’année précédente), puis reprise de la croisière normalement (Sainte-Lucie, Martinique, et retour à la Guadeloupe). On nous offre 100€ par personne de crédit à dépenser à bord.
Bon, ben bonne nuit alors…
Dimanche 8 Mars. Trinidad & Tobago – La Barbade
Réveil. Etrange… Alors que nous devions être en approche du port le bateau semble attendre…
Il attendra toute la journée !
Une annonce en début de matinée pour dire que les autorités vont faire des vérifications avant de nous autoriser à débarquer (on voit partir une petite navette avec trois personnes en combinaison pas rassurantes)… Un peu plus tard, on nous annonce une grève surprise des employés du port (alors qu’un autre paquebot y est accosté) mais que tout va s’arranger.
En fin d’après-midi, nouvelle annonce : le bateau est autorisé à se mettre à quai pour faire le plein mais que personne ne sera autorisé à descendre (y compris les membres d’équipage).
On aura vu le port (et l’autre paquebot qui lui semble avoir eu le droit de faire débarquer ses passagers) ! Nouvelle lettre : 100€ à bord de plus et 50% du prix de la croisière offert pour une prochaine.
Lundi 9 Mars : Grenade – En mer
Pas grand-chose… Piscine, soleil, repos… et début d’émeute des passagers francophones qui demandent des explications de l’équipe navigante (qui n’en donne pas et se contente de passer des messages formatés positifs)
Joli coucher de jour en route vers Saint-Martin
Mardi 10 Mars : la Barbade – Saint-Martin
Bonne surprise… Nous sommes autorisés à débarquer !
Tout se passe normalement !
Les jeunes voulant absolument profiter de la plage exotique, et comme on l’avait ratée l’année dernière, je propose d’aller voir l’attraction de l’île : Maho Beach !
Une toute petite plage, avec une jolie couleur de mer, qui a la particularité d’être positionnée pile en bout de piste de l’aéroport de l’île… Ca dépote quand les avions décollent et c’est impressionnant quand ils s’alignent pour atterrir.
Légère déception en arrivant… (on s’est bien débrouillés, on y arrive les premiers), ça a l’air pas si terrible que ça… Et puis les gens commencent à arriver, on se met à l’eau, c’est agréable… Quelques avions passent pour assurer le côté exotique du lieu.
Au bout d’une grosse heure, on plie bagage, les jeunes s’était réservés une excursion avec Costa (une expédition sous-marine) et nous, on s’était dit qu’on allait partir se promener dans un village recommandé par le guide du Routard (Coup de bol, j’avais apporté le Routard Guadeloupe / Saint-Martin) : Grand-case.
Un taxi nous ramène donc au port déposer les jeunes, et on part vers le côté français de l’île.
Très sympa Grand-Case, même si c’est tout petit. Une grande rue qui présente encore les stigmates des ouragans récents et une plage superbe.
Le routard recommandait des gargotes locales intéressantes et on se régale de grillades.
Après une bonne glace, je sors (enfin) le drone pour faire de belles images de la belle plage. Pas de bol, il m’indique que comme il y a un aérodrome à proximité immédiate, il ne peut fonctionner (j’ai réessayé à l’autre bout de la plage, sans succès).
C’est bien beau tout ça, mais il faut retourner au bateau, surtout qu’on est à l’autre bout de l’île.
Coup de bol, un rare taxi dépose des gens pile devant nous et s’apprêtait à repartir à vide.
En route, il nous montre Saint-Barth au loin (on n’a pas pu distinguer la tombe à Johnny).
Décidé à faire fonctionner le drone au moins une fois, je fais une dernière tentative avant d’embarquer.
Soirée tranquille, si ce n’est une annonce avant le repas pour nous dire que Sainte-Lucie, où nous devions aller le lendemain, refuse que le bateau vienne, mais c’est pas grave, Saint-Martin accepte qu’on reste une journée de plus…
Les jeunes ont adoré leur expédition sous-marine… On fait donc des plans pour le lendemain…
A peine couchés, nouvelle annonce : finalement Saint-Martin n’accepte pas que le bateau reste une journée de plus et demande même qu’il parte immédiatement.
Mercredi 11 Mars : Sainte-Lucie – Saint-Martin – En mer
L’ambiance commence à se pourrir sur le bateau, ce qui n’était encore qu’un mouvement de protestation tourne à l’émeute. Communication minimale et figée de la part de Costa, tentative de bloquer toute initiative d’organisation (menace d’arrêter de communiquer si des passagers filment ou enregistrent leurs messages, refus de partager les micros avec les passagers qui posent des questions, …)
On fait comme d’habitude, on profite de la piscine et du spa, et on devient des pros du Uno.
Une dernière lettre « d’excuse » de Costa… encore 100€ par personne à dépenser dans les boutiques et service fermés (Ma grande est hyper déçue de ne pouvoir récupérer les super photos commandées)… et 100% du prix de la croisière offert sur un prochain séjour.
Jeudi 12 Mars : Martinique – Presque
Normalement, ce jour-là, tous les passagers qui avaient embarqué en Martinique devaient débarquer, logique.
Les martiniquais, et tous les gens qui avaient débuté cette croisière à Fort-de-France.
… seulement, à l’heure à laquelle nous aurions dû être au port, le bateau stationne au large de l’île.
Un message (comme toujours « rassurant ») de Costa annonce que des tests doivent être réalisés sur 5 cas suspects et qu’ensuite, on irait au port pour laisser débarquer ceux qui le doivent.
Rien ne se passe pendant toute la journée.
Un mouvement spontané se crée au bord de la piscine dans l’après-midi et l’ambiance commence à chauffer un peu plus.
Parmi les « membres directeurs » de ce mouvement se trouvent une avocate (qui a déjà enclenché une procédure légale contre Costa) et un médecin. Ce dernier est rassurant, il a assisté à la venue des médecins de l’Autorité Régionale de Santé et les a accompagnés lors de leurs tests. Il est confiant : après avoir partagé avec les médecins de l’ARS, ils sont tous d’accord : aucun des patients testés ne présente de signe du Coronavirus. Ne reste plus qu’à attendre les résultats officiels des analyses.
Les gens qui devaient débarquer ce jour-là auront attendu toute la journée avec leurs bagages… en fin de journée, nouvelle annonce : personne ne débarquera et les cabines ont été ouvertes à nouveau.
Vendredi 13 Mars : Guadeloupe puis vol vers Paris – Fort de France/Martinique.
Petite surprise au réveil… Nous sommes à quai (en Martinique, pas encore en Guadeloupe)!
Le chaos s’installe dans le bateau : plus aucune chaîne de TV ne fonctionne, les piscines ne sont plus ouvertes dans la journée, les multiples restaurants sont fermés (les repas n’auront désormais lieu que dans un seul restaurant) et les bars sont organisés différemment (mais Costa fait désormais open bar, on peut commander ce que l’on veut) … Ils nous offrent le wifi gratuit, mais ça ne tient que quelques heures.
Les Martiniquais commencent à débarquer et on voit des bus quitter le port, sans savoir si c’est pour les ramener chez eux ou vers des centres de confinement.
… Malheureusement pour certains, seuls les martiniquais ont été autorisés à descendre. Ceux qui devaient repartir de la Martinique vers d’autres destinations (métropole, Guyane, …) n’ont pas eu la même chance.
En fin de journée, une annonce : on repart directement sur la Guadeloupe.
Samedi 14 Mars : A la maison – Pointe à Pitre/Guadeloupe
Je ne sais plus trop à quel moment on a été mis à quai.
Le bordel reste constant et les informations minimales. On est conviés comme un troupeau à une prise de température dans le théâtre, tous agglutinés les uns derrière les autres.
On en ressort soulagés de n’avoir pas été mis de côté comme certains autres passagers.
Seul rayon de soleil de la journée, et même de toute la croisière… Edwin !
Alors que nous étions en fin d’après-midi au grand bar, installés sur une table en train de faire une partie de Uno, un des serveurs, qui tournaient pour prendre les commandes s’approche de nous.
Souriant en nous regardant, il dit « Uno ».
C’était Edwin, d’Inde…
Il nous regarde jouer et après une partie, on lui demande s’il veut se joindre à nous.
Il ne se fait pas prier mais n’a pas le droit de s’asseoir… alors il a fait semblant de prendre notre commande, restant debout, posant ses cartes sur son plateau…
On a fait deux ou trois parties et il a dû (au moins faire semblant d’) aller chercher des commandes…
Inutile de dire qu’après ça, nos demandes de boissons étaient prioritaires.
Il est revenu plusieurs fois… Il était marrant à lancer des « shit » à chaque fois qu’il se faisait coincer.
On a essayé de voir s’il était toujours là après le dîner, mais sans succès.
Tard dans la soirée, les italiens sont discrètement évacués pour prendre un vol pour Milan… et nous recevons des informations pour un éventuel retour le lendemain.
Dimanche 15 Mars – A la maison depuis 2 jours – Pointe à Pitre/Guadeloupe
Nouvelle matinée à bord, on sait qu’on va partir… mais pas quand.
On retourne traîner au grand bar, faire quelques dernières parties d’Uno, en espérant y trouver Edwin…
Il est là et nous rejoint rapidement.
Sur la dernière partie, il était sur le point de gagner… J’avais la possibilité de le coincer. Je ne l’ai pas fait… Il a gagné sa première partie et était joyeux !
En début d’après-midi arrive l’annonce tant attendue : nous allons commencer à débarquer…
Une dernière photo de la catastrophe.
Vers 14h30, c’est parti… Sans aucune mesure sanitaire, on fait la queue pour descendre, pour s’entasser dans des cars. Le vol est annoncé vers 15h30. J’y crois moyennement : ça fait court… et ça risque de nous faire arriver à Paris vers 3h du matin…
On attend un bon moment sur le port… et les 6 ou 7 cars partent sous escorte policière, direction… les pistes directement, au pied d’un avion qui nous attend. Un charter mandaté par Costa pour nous ramener à Roissy (bon, on était partis d’Orly, mais pas grave, du moment qu’on rentre)… On se rend compte assez vite que l’équipage était informé qu’ils allaient rapatrier des passagers d’une croisière, mais pas qu’il y avait des suspicions d’infection.
Décollage vers 17h30…
Soulagés.
Lundi 16 Mars : Reprise du travail – Début du confinement
Atterrissage à Roissy vers 5h30… On nous prend la température à l’entrée de l’aérogare.
Le temps de récupérer les bagages. Les jeunes sont partis avant nous, ils ont eu leurs valises dans les premiers et la possibilité de prendre un taxi pour rentrer.
Aucune mesure de sécurité… Aucune présence de Costa à l’arrivée.
Nous, ça va, on n’a pas trop loin où aller, mais d’autres doivent rejoindre des villes de province… Ils sont livrés à eux-mêmes.
Fin du périple en RER… Notre autre fille nous récupère à la gare.
Arrivée à la maison à 8h45… A 9h00, je reprenais le (télé) travail.
Marrant, en dehors de ces péripéties, tout s’est bien passé et on a passé un super moment avec les jeunes…
A l’heure où j’écris ces lignes, plusieurs centaines sur les 3000 passagers sont encore à l’hôpital, certains dans un état grave.
Huit sont morts.
L’équipage a été sacrifié par Costa… Le bateau a erré pendant 2 semaines dans les Caraïbes, rejeté d’île en île. Il avait été question à un moment qu’ils aillent à Cuba mais ces derniers ont refusé au dernier moment, Costa n’ayant, semble-t-il, pas été très transparents concernant l’état sanitaire des membres d’équipage.
Des images les ont montrés enfermés dans les cabines (mais au moins Costa a eu la décence de leur mettre à disposition les cabines des passagers).
Au bout de quasiment trois semaines, le bateau a pu accoster à Miami (siège de Carnival, la maison mère de Costa) où des charters avaient été affrétés pour ramener la majorité des membres d’équipage dans leurs pays d’origine).
Nul doute qu’ils ont tous eu droit à un coup de pied aux fesses comme prime de licenciement.
Le bateau tourne en rond depuis une semaine entre la Floride et les Bahamas, attendant pour revenir en Europe.
On espère qu’Edwin va bien.